GPA : « Il faut cesser de passer la femme par pertes et profits »

GPA : « Il faut cesser de passer la femme par pertes et profits »
Publié le
November 29, 2024
GPA : « Il faut cesser de passer la femme par pertes et profits » - Le 23 avril 2024, les députés européens ont adopté une loi élargissant le champ d’application des mesures actuelles pour combattre et prévenir la traite des êtres humains et mieux soutenir ses victimes, par 563 voix pour, 7 contre et 17 abstentions. La maternité de substitution, ou GPA, entre désormais dans le champ de la traite des êtres humains. Mais depuis quelques jours, la polémique fait rage. Le nouveau texte réprime-t-il uniquement la GPA contrainte organisée par une association criminelle, ou toute forme de GPA ? Nous avons demandé au professeur Marie-Anne Frison-Roche, auteur d’un ouvrage intitulé « GPA : dire Oui ou dire Non »* publié chez Dalloz en 2018, de nous éclairer sur les enjeux attachés à cette question et sur la position de l’Europe.

Actu-Juridique : La GPA est une pratique ancienne même si elle est longtemps restée marginale, qu’est-ce qui a changé et nécessite aujourd’hui l’attention des pouvoirs publics et du législateur ?

Marie-Anne Frison-Roche : La GPA est une « pratique », c’est la meilleure des expressions. Elle consiste pour une ou plusieurs personnes qui ont un « désir d’enfant » à se tourner vers celles qui ont l’aptitude de faire venir au monde un enfant, c’est-à-dire une femme, d’en porter un et à l’instant même de sa naissance de leur donner, puisque cette femme a consenti à cela. Françoise Héritier a raison de dire que cette aptitude naturelle à porter l’enfant, à interrompre la grossesse si elle le veut, à le mettre au monde si elle le veut, est le pouvoir des femmes qui fût toujours l’objet de fascination et d’envie : ce pouvoir d’enfanter, de donner la vie, de nouer ce lien entre soi et l’enfant, objet de toutes les convoitises, a une immense valeur.

La pratique de la « maternité de substitution » consiste à trouver une femme fertile dont on va capter cette aptitude en introduisant dans son corps soit uniquement les gamètes d’un homme, le corps de cette femme fournissant l’ovocyte, soit également l’ovocyte d’une autre femme, pour se faire remettre l’enfant à la naissance. Le lien de filiation sera établi à l’égard de celui qui a donné le gamète, par son sperme. S’il a une conjointe ou un conjoint, le lien de filiation sera établi à l’égard de celui-ci par l’adoption. La naissance ayant été déclarée sous X, la femme n’aura été que la « porteuse ». Les bénéficiaires de la pratique sont extérieurs à celle-ci : c’est littéralement la « gestation pour autrui » (GPA).

Comment cette pratique peut-elle aujourd’hui être exercée à une si grande échelle ? Cela s’explique en regardant les désirs à l’œuvre et leur mode de rencontre.

Les désirs à l’œuvre sont aussi anciens que l’humanité : le premier est le désir d’enfant. Il est au cœur de tout être humain. La nouveauté tient à deux causes. En premier lieu la pratique de la GPA est aujourd’hui active, voire exponentielle, parce qu’il a fallu que la technologie d’insertion dans le ventre des femmes de gamètes, voire d’ovocytes, existe. Désormais, si quelqu’un qui a un désir d’enfant rencontre une femme apte à avoir une grossesse, la pratique peut se nouer. Le désir d’enfant peut aujourd’hui toujours techniquement trouver satisfaction. Or, beaucoup ont un désir d’enfant qui n’est pas naturellement satisfait. Parce qu’il s’agit d’une femme qui n’est pas ou qui n’est plus fertile. Parce qu’il s’agit d’un homme qui est seul. Parce qu’il s’agit d’un homme qui est en couple avec un autre homme. Parce qu’il s’agit d’une femme qui a l’aptitude physique à porter un enfant, mais qui ne veut pas les risques et inconvénients de la grossesse. Tous ces cas de figure existent. En second lieu, le « désir d’enfant » s’est transformé en ce qui serait un « droit à l’enfant ». On a donc le droit à ne pas renoncer à son désir d’enfant du seul fait que l’on ne peut pas en avoir : si chacun pense avoir toujours et en toutes circonstances un droit à l’enfant, tout ce qui le contrarie, y compris sa propre situation, devrait donc être surmonté. Plus encore, tout ce qui ne l’aide pas serait une attaque : soit contre les femmes âgées, soit contre les homosexuels, soit contre les femmes qui travaillent et pour lesquelles la grossesse est un handicap professionnel, alors qu’on les veut leaders comme les hommes qui n’ont pas à porter les enfants dont ils sont les pères. Le désir d’enfant, ancien et commun, est ainsi devenu premier.

Source : www.actu-juridique.fr

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Commentaire du CPDH

La juriste Marie-Anne Frison-Roche revient sur l’inclusion de « l’exploitation de la GPA » dans la directive européenne sur la traite des être humains votée en avril 2024. Alors que le processus de transposition en droit français a débuté, nous nous demandons ce que cela implique. La directive ne donne pas d’indication mais la France est devant un choix de société : reconnaître la GPA comme une catégorie de la traite donc une exploitation des femmes dans tous les cas, ou considérer l’exploitation comme une condition aggravante de la GPA selon la situation de vulnérabilité des femmes. Deux orientations très différentes qui dans le dernier cas légitimerait en réalité des GPA dites « éthiques ».

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