Enfants hyperactifs, autistes… "toute différence devient pathologique", s'inquiète un pédopsychiatre - Hyperactifs, autistes... le nombre d'enfants diagnostiqués augmente depuis quinze ans. Malheureusement, cette hausse est également la conséquence d'erreurs de diagnostics, estime Thierry Delcourt dans "La fabrique des enfants anormaux".
La lumière printanière baigne la salle d'attente, dans un vieil immeuble du centre-ville de Reims. Il fait bon dans cette véranda lumineuse, qui donne sur une petite cour. On oublierait presque que nous avons rendez-vous avec Thierry Delcourt, psychiatre rémois, qui a décidé depuis quelques années de consacrer ses consultations aux enfants et aux adolescents. En ce mois d'avril 2021, il publie La fabrique des enfants anormaux (Max Milo). Derrière le titre un brin provocateur, plus qu'un pamphlet contre le système éducatif, le praticien veut "éveiller l'esprit critique des parents et des enseignants".
Son constat est simple. Depuis 15 ans, le nombre d'enfants diagnostiqués hyperactifs ou ayant des troubles de la sphère autistique, a considérablement augmenté. Sans remettre en cause l'existence de ces troubles et la nécessité de les dépister dès le plus jeune âge, le médecin attribue cette hausse à des erreurs de diagnostic. Des errements imputés à des bilans neuro-développementaux expéditifs, qui ne prennent pas en compte le contexte psychologique et social dans lequel l'enfant évolue. Problème, ces erreurs entraînent parfois des traitements médicamenteux lourds et des programmes de rééducation (comme l'orthophonie, l'orthopsie, etc.) inadaptés pour des enfants dont la souffrance est ailleurs.
Pourquoi avoir décidé de publier ce livre aujourd'hui ?
Thierry Delcourt : Il y a deux motivations. La première, c'est le nombre croissant de parents qui arrivent affolés dans mon cabinet depuis ces dix dernières années. L'école stigmatise leur enfant en disant qu'il est inadapté, et que par conséquent, il va falloir entrer dans un processus de bilans neuro-développementaux.
Prenons un exemple : des parents rencontrent une situation difficile, comme la perte d'un proche, un divorce, la naissance d'un troisième enfant ou de jumeaux. Si l'enfant le vit mal, il va le manifester de deux façons. Soit sur le mode du repli, c'est-à-dire qu'il ne va plus être disponible aux apprentissages; soit sous la forme d'une expression comportementale, d'agitation ou d'agressivité, la forme la plus courante chez les enfants.
Tout cela est identifiable et assez simple. Le problème, c'est quand on se contente d'analyser ce problème par le biais d'une pensée neurologique. Dans ce courant, l'idée est de se dire que si l'enfant a un problème ou pose problème, c'est que son cerveau s'est mal développé. C'est tout un mécanisme qui s'inscrit dans une dérive, où on va simplifier au maximum les choses, qui se met en place. Résultat : on passe à côté de la personnalité et de la singularité de l'enfant. Le tout sans prendre en compte le problème de l'environnement psycho-social dans lequel il évolue.
Ce mode de pensée nous vient des Etats-Unis, où la situation est affolante. Mais on y plonge les deux pieds en avant. D'une part, parce qu'on a adopté ce qu'on appelle le DSM, le manuel de diagnostic thérapeutique, qui fait que chaque trouble est identifié et qu'à chaque trouble correspond un médicament.
Source : france3-regions.francetvinfo.fr